28 déc. 2013

JEANNE MOREAU : "Lettre du camp 14 de Mordovie" de Nadedja Tolokonnikova

Certes, la France n'est pas la Russie. Tandis qu'à la Villette, on fait le panégyrique du mouvement punk, en ex-U.R.S.S, une "prière punk" au sein d'une cathédrale orthodoxe par une bande de jeunes femmes motivées, de dangereuses militantes anti Poutine, conduit tout droit ces dernières dans des camps de détenus politiques allègrement saupoudrés de droits communs qui n'ont pas l'exemplarité de nos bonnes vieilles prisons françaises. Je me demande cependant ce qui serait advenu à un collectif "néo-punk" (genre ultra-gauche, anarcho & C° comme on disait sous l'ère sarkozienne...) si d'aventure, une prière à la mode moscovite avait eu lieu au cœur de Notre Dame de Paname pendant les fameuses manif' pour tous lors desquelles on a surtout vu toute la France des curetons, des culs bénis, des homophobes et j'en passe... Bref, dans notre bel hexagone, on met le punk au musée d'un côté (genre "ça, c'est fait !), de l'autre on accorde à mon goût une grande clémence mêlée d'indulgence aux propos et actes racistes, homophobes, etc, tout en faisant taire gentiment quelques colères populaires qui ont par contre la pertinence de soulever les vrais problèmes de la pauvreté et de la détresses liées à l'économie de marché, ses abus, ses dérives, son karma, quoi.


Dans sa grande clémence ou opportune bienveillance (comme aiment à le souligner les mauvaises langues), le chef  du Kremlin, président de la Fédération de Russie, le bien-aimé Vlad' Poutine a gracié à la veille de Noël les "hooligans" sus-mentionnées. Pas de repentance cependant de la part des autorités russes mais aucune repentance non plus du côté des deux Pussy Riot incarcérées depuis août 2012 : Maria Alekhina et Nadejda Tolokonnikova.
Le 30 octobre 2013, Jeanne Moreau s’engageait dans la défense des Pussy Riot via le site Médiapart et sur l'antenne de France Culture et manifestait plus particulièrement son inquiétude concernant le sort de Nadedja Tolokonnikova, à l'époque les proches de Nadedja étaient sans nouvelles d'elle depuis plusieurs jours. La jeune femme était emprisonnée au Camp 14 de Mordovie (un sympathique héritage du Goulag soviétique) et venait d'être transférer sans que les autorités pénitentiaires ne communiquent sur le sujet (on apprit par la suite qu'il s'agissait du centre de Tchéliabinsk dans l'Oural).  C'est dire toute l'importance de cette lettre qui datait de septembre, lors de la première grève de la faim de Nadedja Tolokonnikova et qui décrit tant que possible les conditions de vie désastreuses des quelques 800 000 prisonniers qui sont actuellement sous les verrous en Russie. En voici le contenu lu par Jeanne Moreau qui explique son engagement en faveur des Pussy Riot : « Je suis révoltée par ce qui arrive à cette jeune femme dont la vie est en danger. Malheureusement, elle n’est pas la seule. À mon âge, je ne peux plus monter sur les barricades. Je  prends la parole sur France Culture et Mediapart pour exprimer ma révolte. Je veux toucher le plus de monde possible pour dénoncer la condition des hommes et des femmes dans le monde. Il faut que les Français fassent attention au Front national et à l’extrême droite internationale. » Cette intervention de Jeanne Moreau a été rendue possible par l'initiative d'une abonnée de longue date de Mediapart, Bérangère Bonvoisin, qui a transmis à l'actrice la « Lettre du camp 14 de Mordovie ». Nous l'en remercions vivement, tout comme Marie N. Pane, qui a traduit du russe cette lettre, et André Markowicz qui en a fait la présentation. (Source : Médiapart & Le Monde)




"Les camps sont le visage" de la Russie
Pendant et après une telle incarcération, beaucoup de gens peuvent craquer et nul ne saurait les en blâmer mais ce n'est pas le cas pour Maria Alekhina et Nadejda Tolokonnikova, bien au contraire : les deux militantes (punks !) de Pussy Riot en ont encore sous les godasses et ne se sont pas privées d'exprimer leur profonde gratitude envers Poutine et toute sa clique.
"La Russie est construite sur le modèle d'une colonie pénitentiaire et c'est la raison pour laquelle il est si important de changer les colonies pour changer la Russie de l'intérieur.
Les camps sont le visage du pays et "j'ai vu cette petite machine totalitaire de l'intérieur", a déclaré Nadejda.
Elle a aussi jugé que sa période de détention n'avait pas été "du temps perdu", disant même avoir "grandi" grâce à cette expérience.
Sur l'amnistie qui a permis sa libération, approuvée le 25 décembre par le Parlement russe pour les 20 ans de la Constitution russe, elle a trouvé ce geste "ridicule".
"Pourquoi ont-ils fait tout cela? C'est clair: pour que l'on ne boycotte pas complètement la Russie aux jeux Olympiques", a-t-elle dit à la radio Echo de Moscou.
Maria Alekhina, visiblement en bonne forme, a aussi fustigé cette loi qui prévoit entre autres de libérer les personnes condamnées pour "hooliganisme" et les mères d'enfants mineurs.

L'amnistie, une "opération de communication" du Kremlin
"Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un geste d'humanisme, mais plutôt d'une opération de communication", a asséné Alekhina, sur la chaîne câblée Dojd.
Elle a dénoncé une loi qui ne concerne "même pas 10%" des détenus et affirmé qu'elle aurait refusé cette amnistie si elle avait eu le choix.
"Je ne regrette rien", a-t-elle lancé, citée par l'agence Interfax, après son arrivée lundi soir à Moscou, devant ses partisans venus la saluer avec des fleurs et des ballons à la gare Kourski. (Source)


La jeune femme devait ensuite repartir pour Krasnoïarsk afin de retrouver Nadejda Tolokonnikova, avec qui elle a l'intention d’œuvrer à améliorer le système pénitentiaire russe.
L'ex-dissidente soviétique et militante des droits de l'homme Lioudmila Alexeeva a souligné que les gens innocents condamnés décidaient souvent ensuite de militer en faveur des détenus.
Selon Amnesty International, le "harcèlement de la société civile en Russie se poursuivra sans relâche même si des prisonniers d’opinion ont été libérés". Cette remise en liberté "ne doit pas être considérée comme un acte de grâce et d’humanité, mais plutôt comme une démarche politique qui intervient à l’approche des jeux Olympiques de Sotchi", a estimé également John Dalhuisen, directeur pour l'Europe et l'Asie centrale à Amnesty.


Vlad' le baratineur
L'amnistie soulève bien des questions du genre : Opération charme à la veille des Jeux olympiques de Sotchi? Démonstration arrogante de l'omnipotence du président Poutine? Gabrielle Tétrault-Farber est journaliste au journal russe anglophone The Moscow Times et interwievée par des journalistes de l'AFP, voici ce qu'elle en pense :
Q Après la décision du Parlement russe, le 18 décembre, de gracier certains prisonniers politiques, la libération des Pussy Riot n'était qu'une question de temps. Est-ce que cette libération est une bonne nouvelle?
R C'est une bonne nouvelle pour Vladimir Poutine, parce que ça démontre qu'il est tellement en confiance qu'il peut faire sortir ses opposants de prison. Mais ça ne l'est pas nécessairement pour ses opposants. C'est une libération plutôt symbolique pour ces femmes qui devaient sortir en mars après deux ans de prison - deux mois de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose.
Q Quelle est la réputation des Pussy Riot en Russie?
R Le Russe moyen ne les trouve pas tellement sympathiques. La fameuse prestation dans la cathédrale orthodoxe du Christ-Sauveur à Moscou a été perçue comme insultante pour la majorité des Russes. Ce n'est pas une population pieuse en général, mais elle définit son identité en termes orthodoxes. Même si l'Église orthodoxe est probablement corrompue, proche du pouvoir (Poutine est ami avec le patriarche), cette prestation dans la plus grande église orthodoxe du pays, au coeur de Moscou, a été perçue comme une atteinte à l'identité fondamentale de la Russie. Les médias en ont évidemment parlé aujourd'hui, mais les gens, eux, n'en parlent pas. La libération de Mikhaïl Khodorkovski, elle, a fait plus parler. [...] Khodorkovski n'est pas beaucoup plus aimé, mais il suscite plus de sympathie que les Pussy Riot.
Q Certains estiment qu'il s'agit d'une opération de relations publiques à la veille des Jeux olympiques de Sotchi. Qu'en pensez-vous?
R On parle beaucoup de la pression internationale exercée pour libérer les Pussy Riot. Comme cette lettre écrite par Paul McCartney. Mais ça, en fait, Vladimir Poutine s'en fiche. Il peut faire ce qu'il veut. Et puis, il est trop tard pour que la Russie se rattrape auprès de la communauté internationale. Ces décisions n'ont pas été prises pour plaire à la communauté internationale. C'est plutôt pour montrer aux Russes qu'il n'a pas peur.
Q Après la libération de ces célèbres opposants politiques, lesquels sont encore en prison?
R Notamment ceux qui ont organisé les manifestations de mai 2012 contre la réélection de Poutine, comme Sergueï Oudaltsov et Leonid Razvozjaïev. Sortiront-ils aussi de prison? Ce n'est pas clair. Mais la situation évolue très rapidement. La semaine dernière, on avait dit que ni Khodorkovski ni les Pussy Riot ne seraient libérés... C'est une amnistie qui a été qualifiée de restreinte et sélective par des députés de la Douma. Présentement, il y a des procédures judiciaires contre l'ancien ministre de la Défense, qui profitera probablement de l'amnistie. Pourquoi un bureaucrate corrompu sera amnistié alors que quelqu'un qui aurait bousculé un policier resterait en prison? Il y a un sentiment de frustration dans la population.
Q Les deux femmes libérées aujourd'hui ne sautaient pas de joie à leur sortie de prison. L'une d'elles a même dit que si elle avait pu, elle serait restée en prison jusqu'à la fin de sa peine. Elles ne voulaient pas d'une amnistie, elles voulaient un acquittement, puisqu'elles se disent innocentes.
R En effet, c'est Poutine qui gagne. Mais Poutine gagne toujours. Pour elles, sortir de force, c'est reconnaître que Poutine a gagné. Ce n'est pas ce qu'elles voulaient... (Source)



Bien sûr, les puissants comme Poutine, on ne s'en débarrasse pas aussi vite que d'un despote en Afrique du nord, au Moyen-Orient et partout où la justice et les droits des individus sont bafoués y compris dans les démocraties occidentales mais par leurs actes, certains collectifs font remonter en surface les questions et les choix pour demain, respect à eux. Je poste également ici un complément de ce que Jeanne Moreau a aussi pu faire par son courage et son cœur vrillé aux tripes...


 
 
A la sortie de l'hôpital pénitentiaire de Krasnoïarsk, grande ville de Sibérie, où elle était soignée après les grèves de la faim qu'elle avait menées pour dénoncer les conditions de détention, Nadejda Tolokonnikova a brandi le « V » de la victoire et crié « Russie sans Poutine », l'un des slogans phares des manifestations anti-Kremlin.


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