11 déc. 2010

UN SINGE EN HIVER de Henri Verneuil

"Si je buvais moins, je serais un autre homme, et j'y tiens pas !" ou encore : "Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse !" 
A Tigreville, sur la côte normande, Albert Quentin (Jean Gabin) dirige un petit hôtel, avec son épouse Suzanne (Suzanne Flon). Ancien quartier-maître du corps expéditionnaire d’Extrême-Orient, Albert a longtemps été un buveur invétéré. Mais un soir de juin 1944, lors des bombardements, il fait la promesse à Suzanne de ne plus toucher une goutte d'alcool s'ils s'en sortent vivants.
Quentin tient sa promesse. Mais des années plus tard, survient un jeune homme sympathique et mystérieux, Gabriel Fouquet (Jean-Paul Belmondo). Fouquet, par ses penchants pour l'alcool, rappelle bien vite à Albert Quentin les meilleures périodes de ses anciens voyages éthyliques.
Dès son arrivée à l'hôtel, Gabriel descend au café du coin chercher ce qu'on ne trouve plus chez les Quentin le soir, l'alcool.
La serveuse à Fouquet :
- Pour un picon-bière, c'est moitié-moitié?
- Ca peut le devenir. Mais je saute pas un obstacle sans élan... Et de verre en verre, Gabriel devient espagnol, Toréador plus exactement, plus l'alcool coule dans ses veines, plus il est flamboyant dans sa vie rêvée, plus celle-ci se concrétise et se substitue à la réalité qui est bien plus glauque... Son retour à l'hôtel paisible se fait en titubant et il ne manque pas de réveiller tout le monde, notamment Albert qui le raccompagne dans sa chambre et les arènes monumentales de Madrid emplissent la pièce, il y a du monde Luis Miguel dit Miguelito attire toujours la foule, Gabriel devra pendre des risques car le public est exigeant. Albert observe.
- ...Vous intéresse papa ?
- Peu-être...
- Qu'est-ce qui vous intéresse, le matador, le taureau ou l'Espagne ?
- Le voyage ! Votre façon de voyager
- Ah ça c'est un secret!
- Oh la la !.. Le véhicule je le connais, je l'ai déjà pris, et c'était pas un train de banlieue, vous pouvez me croire...Moniseur Fouquet, moi aussi il m'est arrivé de boire... Mais ça m'envoyait un peu plus loin que l'Espagne... Le Yang tsé Kiang... Vous avez déjà entendu parler du Yang Tsé Kiang?.. Ça tient de la place dans une chambre, moi j'vous l'dis!
- Sûr!... Alors deux xérès?...
- Je ne bois plus, je croque des bonbons...
- Et ça vous mène loin?
- En Chine toujours, mais plus la même... Maintenant c'est une espèce de Chine d'antiquaire... Quant à descendre le yang tsé Kiang en une nuit c'est hors de question... Un petit bout par çi, un petit bout par là... Et encore, pas tous les soirs... Les sucreries font bouchon...

Et c'est précisément ce qui va réunir les deux hommes : Le voyage dans l'ivresse, l'évasion vers des paysages qu'ils créent au fur et à mesure que l'alcool monte en eux. Ils ont la magnificence de leur désir d'aventure, de leur besoin d'imprévu. Le charisme est là, les mots sortent et fusent, ils entrainent avec eux tout ce qui les entoure, aspirant le décorum  terne et gris de cette Normandie jusqu'au paroxysme pyrotechnique de la fin du film.
Leur escapade éthylique est une fuite somptueuse mais elle reste une dérobade. Pour Quentin, c'est sa jeunesse et sa "ration d'imprévu" qu'il tente de rattraper, ses souvenirs "dont on ne peut rien retrancher, auxquels on ne peut rien ajouter, parmi lesquels nous allons bientôt prendre la pose à notre tour" (Selon les mots d'Antoine Blondin, l'auteur du livre éponyme dont le film est une adaptation.) Dans le film, Albert dit  à sa femme :
- Écoute ma bonne Suzanne. Tu es une épouse modèle.
- Oh...
- Mais si, t'as que des qualités et physiquement, t'es restée comme je pouvais l'espérer. C'est le bonheur rangé dans une armoire. Et tu vois, même si c'était à refaire, je crois que je t'épouserai de nouveau. Mais tu m'emmerdes.
- Albert!
- Tu m'emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour mais tu m'emmerdes.
Gabriel, quant à lui, a déjà perdu sa femme et sa maîtresse et il essaie, maladroitement, de reprendre sa fille, âgée de treize ans, interne aux Cours Dillon, à Tigreville. Mais son destin n'est déjà plus de ce monde : de même que Quentin dans l'ivresse redevient fusilier-marin en Chine, au point qu'on se demande quel univers, celui du guerrier ou celui de l'hôtelier, est le plus "réel", Fouquet, de son côté, trouve dans l'imaginaire de la corrida une dimension de son être qui tout en étant pathétique n'en est pas moins fascinante.

Étonnamment, Un Singe En Hiver a eu des problèmes avec la commission de censure qui y voyait une apologie de l'alcoolisme et le ministère de la santé n'apprécia guère la trop bonne visibilité des marques d'apéro sur les bouteilles. Alors oui, ces deux personnages sont émouvants, touchants, drôles, superbement charismatiques dans leur divagations éthyliques mais ils sont aussi malades. Le symptôme est leur alcoolisme chronique mais c'est peut-être et avant tout leur inaptitude à trouver dans le quotidien ce que l'alcool leur apporte, ils sont emprisonnés dans leurs vies fantasmées.



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1 commentaire:

  1. "peu importe le flacon pourvu qu'il y ait l'ivresse"...

    http://www.youtube.com/watch?v=VsUG551zSlg

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